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Interviews

Philippe Piguet:
«Claude Monet, au-delà de l’impressionnisme»…

Bel arrière-petit-fils de Claude Monet, l’historien et critique d’art Philippe Piguet donnera, le 18 avril dans la maison du peintre, une conférence dédiée à l’invention de l’impressionnisme en 1874. Petit avant-goût…


Replongeons-nous dans le contexte artistique de l’époque… A la fin du XIXe siècle, l’Académie exerce une forte emprise sur la production artistique et promeut une peinture tournée vers des sujets religieux, historiques ou mythologiques. Comment qualifier ces Monet, Renoir et autres Sisley qui veulent s’affranchir de cette culture classique ?

Ce sont des assoiffés de liberté ! Ils revendiquent une indépendance vis-à-vis des institutions, se révoltent et font montre de rebellion. Le mouvement qu’ils vont initier est proprement révolutionnaire et fondamentalement novateur.

L’histoire a choisi le 15 avril 1874, date de la première exposition impressionniste, pour signer l’acte de naissance du mouvement.  Celui-ci n’a, cependant, pas éclaté en un jour…

Il y eut en effet des prémices ! Le 15 avril 1874, c’est le furoncle qui craque ! En 1863 se tient, déjà, le Salon des Refusés. Mais nous sommes encore loin de ce que les impressionnistes vont véritablement remettre en question. Il y eut également, en 1868, l’exposition maritime internationale du Havre où Claude Monet est présent et récompensé. Reste que ce salon havrais n’est pas, alors, ce qui fait l’actualité. La scène artistique est, à cette époque, fondamentalement parisienne. Et c’est parce qu’ils sont excédés que leurs oeuvres soient refusées au Salon officiel qu’ils décident d’organiser une exposition marginale.

Ces impressionnistes sont aussi le premier groupe d’artistes contemporains à se constituer en société coopérative…

En 1873, ils publient en effet dans le Figaro la création de cette coopérative. C’est le premier groupe constitué d’artistes par eux-mêmes ! Ils ont initié une manière d’exister lorsqu’on est jeunes et qui se vérifie encore de nos jours. On recense aujourd’hui un nombre incroyable de phénomènes associatifs et de communautés d’artistes. Sur le même mode que les impressionnistes, ils s’organisent, trouvent des ateliers, préparent des expositions. Ce fut un phénomène associatif avant la lettre !

Faut-il, pour mieux comprendre le mouvement impressionniste, évoquer sa concomitance avec les progrès de l’époque ?

Je n’ai jamais cessé d’écrire cela. L’invention du tube de peinture, c’est fondamental. La théorie de Chevreul -le mélange optique des couleurs-, c’est fondamental. Le train qui se développe, c’est fondamental. Ces peintres, majoritairement d’Ile de France, vont bénéficier de capacités de déplacement sur les motifs grâce à l’essor des chemins de fer. C’est la convergence d’un certain nombre de situations qui va rendre possible cette révolution esthétique.

Au-delà du fait qu’il est l’auteur de la toile fondatrice de l’impressionnisme, en quoi Claude Monet a-t-il guidé et porté le mouvement ?

Il a été l’un des acteurs les plus vifs de la création de cette société. Il fait partie du bureau et est la figure motrice de cette aventure. Claude Monet dégage, à l’époque, une allure de rebelle. Il a une ambition, une conscience déjà de l’histoire. La conscience de l’histoire est d’ailleurs un point essentiel chez Claude Monet !

Quelle serait votre propre définition de l’impressionnisme ?

C’est le premier mouvement d’avant-garde de la modernité ! A partir de l’avènement de l’impressionnisme, l’histoire de l’art va être rythmée par une quantité de mouvements et une multitude de propositions innovantes : le symbolisme, le fauvisme, l’expressionnisme, le cubisme, le surréalisme, le dadaïsme…

La cinquième édition du festival «Normandie impressionniste», dont vous êtes le Commissaire général, coïncide avec le 150e anniversaire du mouvement pictural. Quels rendez-vous souhaiteriez-vous mettre en exergue ?

J’ai pu apprécier l’exposition de David Hockney au musée des Beaux-Arts de Rouen. J’attends beaucoup du spectacle de la marchandise au musée des Beaux-Arts de Caen. Sa directrice, Emmanuelle Delapierre, a un certain talent pour réussir ses expositions ! Il faut aussi découvrir le musée Michel Ciry à Varangeville-sur-mer, qui présente le travail, entre photographie et gravure, de l’artiste contemporaine Raphaëlle Peria. Elle est exactement dans l’esprit d’invention du festival. Cette exposition est un petit bijou !

Pourquoi visiter, dans ce contexte de célébration de l’impressionnisme, la maison et les jardins de Claude Monet ?

Lorsqu’il s’y installe en 1883, la première exposition impressionniste a déjà neuf ans d’âge. Il n’aura participé qu’à cinq des sept expositions organisées jusqu’à cette date. Et il ne participera pas à l’ultime exposition impressionniste de 1886. Lorsque Claude Monet pose bagages à Giverny, il ne participe donc déjà plus à cette aventure collective. Il s’écarte de la vie parisienne car il porte, en lui, un objectif qu’il va petit à petit découvrir. Cet objectif majeur, ce sont les nymphéas. Si vous dressez un schéma des lieux qui lui servent de motif, vous tracerez une spirale qui conduit des environs de Giverny jusqu’au bassin. Claude Monet à Giverny, c’est une aventure solitaire. Il va créer quelque chose qui le signe uniquement. Son combat va l’emmener au-delà de l’impressionnisme. Il est très intéressant d’avoir cette dimension en tête lorsque vous visitez Giverny.

De quelle manière allez-vous aborder, lors de votre conférence, l’invention de l’impressionnisme ?

Ce qui m’intéresse, c’est de mettre en exergue l’organisation de cette exposition et son caractère complètement pionnier. Lors de la deuxième conférence (le 22 mai), je mettrai en évidence la qualité laïque et républicaine de l’iconographie impressionniste. Quant à la troisième (le 19 septembre), elle permettra de parler d’une forme d’art contemporain !