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Interviews

Sylvie Patin

Conservateur général honoraire au Musée d’Orsay et Correspondant de l’Institut (Académie des Beaux-Arts), Sylvie Patin figure parmi les plus scrupuleux experts de la peinture impressionniste et de Claude Monet. Auteur de nombreux ouvrages sur le peintre givernois dont «Le musée intime de Monet à Giverny» (Fondation Claude Monet/ Editions Gourcuff et Gradenigo, 2016), cette historienne de l’art animera trois conférences thématiques dans l’enceinte de la Fondation Monet. Entretien….



La première de vos conférences sera dédiée, le 18 avril, au «salon-atelier et ateliers de Monet à Giverny». Pourquoi le peintre avait-il choisi de transformer son salon-atelier en un sanctuaire dédié à ses peintures ?

Il ne s’agissait, en aucun cas, d’invendus mais de toiles qu’il avait souhaité conserver. Toutes illustraient, en effet, des moments clés de sa vie. Ainsi les portraits de famille -sa première épouse Camille, ses deux fils…-, les souvenirs de certaines campagnes -la Tamise, son périple Norvégien et son grand attrait pour la neige avec le mont Kolsaas, Venise…-, son travail sur les séries dont il conservait systématiquement un exemplaire -Cathédrale, Meule…- ses passions, notamment pour la mer et les fleurs, sa quête perpétuelle d’une lumière nouvelle comme à Bordighera… Le salon-atelier servait, d’abord, de lieu de travail. Mais il était aussi l’endroit où Claude Monet recevait des marchands. N’oublions pas, en outre, que l’accrochage était mouvant et que certaines toiles migraient d’un atelier à l’autre. Les photographies d’époque soulignent ainsi que «La femme à la capeline rouge» ou «La barque» bougeaient. Entre 1926, année de la disparition de Claude Monet et 1966, son fils Michel vendra certaines toiles, aujourd’hui entre les mains de musées ou collectionneurs. Celles qu’il avait gardées seront transférées, à sa mort, au musée Marmottan Monet….

En 2011, des répliques ont été accrochées, dans le salon-atelier et sous votre direction scientifique, en lieu et place des originaux. Comment avez-vous procédé pour ne pas égratigner la vérité historique ?

Les quelque soixante répliques actuellement accrochées ont été sélectionnées d’après des photographies anciennes qui nous ont permis de reconstituer, avec certitude, l’accrochage de 1920. Et, lorsque persistaient des zones d’ombre, nous nous sommes appuyés sur le catalogue raisonné de l’artiste, établi par Daniel Wildenstein et qui renseigne sur les oeuvres effectivement présentes à Giverny jusqu’à la mort du peintre…

Dans sa chambre, Claude Monet vivait entouré des toiles de ses amis impressionnistes. Elles aussi ont été remplacées, in situ, par des copies en 2013. Un travail complexe car il n’existait pas de photographies du premier étage !

Le travail fut, en effet, différent. Et, à défaut de photographies, nous avons exploité les témoignages écrits des rares personnes que Claude Monet faisait monter dans sa chambre, et notamment ceux de Julie Manet, la fille de Berthe Morisot, de Paulette Howard-Johnston, la fille du peintre Paul Helleu, de Gustave Geffroy ou Marc Elder. Et, là aussi, nous avons usé du catalogue raisonné des peintres que Claude Monet aimait, et notamment celui de Cézanne qui renseigne sur le cheminement des oeuvres… Ces répliques invitent à aller admirer les originaux, dont bon nombre sont au musée Marmottan Monet.

Quel pan de la personnalité de Claude Monet se révèle au travers de sa chambre, sujet de votre deuxième conférence du 13 juin ?

Claude Monet se réveillait et s’endormait au milieu de toiles qui n’étaient pas les siennes mais celles de ses amis (Boudin, Jongkind, Caillebotte, Cezanne, Renoir, Berthe Morisot…). Cette pièce souligne donc son côté altruiste. Claude Monet était une personne tournée vers les autres. Il n’oubliera jamais ses camarades de jeunesse à qui il sera toujours fidèle…

«Giverny : le Japon en Normandie» clôturera, le 5 septembre, votre série de conférences. Qu’est-ce qui, selon vous, fascina tant Claude Monet dans le japonisme ?

A l’époque, tous les artistes s’intéressaient aux estampes japonaises. Chez Claude Monet, cette influence imprègnera jusqu’à ses jardins et plus particulièrement le jardin d’eau. Tout ceci n’est pas dû à un voyage de Claude Monet au Japon puisqu’il n’y est jamais allé. Le contact s’est établi au travers des estampes mais aussi de rencontres avec des Japonais qui avaient fait le déplacement jusqu’à Giverny…

Comme l’exprima en son temps Gérald Van der Kemp, Giverny est un décor d’existence qui permet de mieux comprendre l’artiste…

Giverny n’est pas seulement un lieu de mémoire où vécut Claude Monet. C’est un lieu qui explique sa personnalité, sa générosité, sa lutte pour le travail, ses thèmes favoris… Ce n’est pas qu’un décor d’existence, c’est une fusion entre sa vie et sa peinture. Si les visiteurs viennent majoritairement pour le jardin et les fleurs, la maison est également essentielle pour parfaire sa compréhension du peintre. Et c’est d’ailleurs en ce sens qu’Hugues Gall a oeuvré lorsqu’il a repris la direction de la Fondation et initié les travaux de reconstitution…

Avez vous eu le privilège d’assister, en juin 1980, à l’ouverture au public de la Fondation Monet ?

Oui, j’ai eu ce privilège d’autant plus qu’à la même époque, j’étais l’un des commissaires de l’exposition «Hommage à Monet» de février à mai au Grand Palais. Nous avions d’ailleurs aidé Gérald Van der Kemp dans ses recherches…

Giverny et le musée Marmottan ne désemplissent pas. Les expositions Monet attirent un nombre record de visiteurs. Comment expliquez-vous cette histoire d’amour entre le peintre et son public ?

L’impressionnisme est une peinture très aimée par les Français mais aussi par les étrangers. Elle a été connue, très tôt, aux Etats-Unis grâce à une grande exposition organisée en 1886 par Paul Durand-Ruel à New-York, mais aussi grâce à des collectionneurs comme les Havemeyer. Mary Cassatt, une peintre américaine liée au mouvement impressionniste, a également contribué à faire connaître Monet. Le Japon, aussi, a joué un rôle essentiel…

Comment vos pas ont-ils rejoint ceux de Claude Monet ?

J’ai passé le concours des conservateurs des musées nationaux en 1973. Un an auparavant, j’avais fait un stage au musée Marmottan alors dirigé par Jacques Carlu. Et c’était l’époque où l’on restaurait les toiles de Claude Monet léguées par son fils Michel. Certaines venaient du domicile de Sorel-Moussel et étaient affectées par des marques d’humidité. J’ai vu toutes ces toiles qui, après la mort de Michel Monet, ne sont jamais revenues à Giverny… Entre 1976 et 1979, j’ai occupé le poste de Conservateur aux musées du Jeu de Paume et de l’Orangerie. J’ai ensuite rejoint l’équipe de Préfiguration du musée d’Orsay avant d’y devenir Conservateur en chef en 1991, puis Conservateur général en 2006. J’ai eu un parcours très cohérent consacré aux impressionnistes, en particulier à Monet…

Et si vous organisiez, un jour, une nouvelle exposition Monet….

J’ai participé à l’organisation de deux très belles expositions en 1980 et 2010 («Claude Monet», Grand Palais). L’intéressant était d’y montrer Monet dans son ensemble, de souligner son renouvellement depuis «Impression soleil levant» jusqu’aux séries et Nymphéas… Et, dans les deux cas, les expositions étaient très amples. Je n’ai aucun regret…

Un projet d’ouvrage ?

Je suis en train de publier un livre sur Berthe Morisot dans le cadre d’une exposition qui se tiendra en juin au musée d’Orsay. «Berthe Morisot, dans l’intimité de l’artiste», sortira en avril aux Editions des Falaises à Rouen.