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Giverny

Sans nous, il n’y aurait pas de jardin…

Ils sont «invisibles» mais endossent, pourtant, un rôle stratégique dans les jardins de Claude Monet. Sans eux, point de délicates pensées, de généreux cosmos ou d’incroyables dahlias. Semis, repiquages, bouturages… Ce sont eux qui font naître et grandir, avec patience tout autant que savoir-faire, les plantes qui viendront habiller l’eden givernois. Rencontre, dans les serres, avec notre incontournable équipe de production…


 De gauche à droite : Magali Bedel, Laura et Pascal Tabourin

C’est ici que tout commence et recommence chaque saison. Dans la grande serre située rue Hélène Pillon, la saison du semis bat son plein. C’est pourtant une équipe réduite qui s’agite dans ce chaleureux cocon aux allures de coquille cristalline. «Nous ne sommes que deux… et demi», confesse la responsable de production Magali Bedel, qui travaille aux côtés du très appliqué Pascal Tabourin mais aussi de Laura, une jeune apprentie. La faute à une crise de vocation qui frappe la profession. «Des classes horticoles ferment, faute d’élèves, explique-t-elle avec une pointe d’amertume. L’horticulture est une discipline où les résultats ne sont pas visibles immédiatement. Les processus de croissance des végétaux demandent du temps. Et les jeunes veulent voir le résultat tout de suite ! Ils sont davantage attirés par les métiers du jardin que par la production. Et pourtant, sans nous, pas de jardin !»

L’immense majorité des trésors qui flamboient dans les jardins de Claude Monet «naît» en effet, dans les serres. Au total, ce sont 180.000 plants -annuelles, bisannuelles, vivaces, arbustes non rustiques…- qui, chaque année, sont produits in situ par semis et boutures ! «Certaines variétés sont produites en petite quantité, explique Magali Bedel, qui met ses compétences au service du site depuis 2018. C’est ce qui fait toute notre particularité ! D’autres sont uniques car liées à notre identité : une ancienne photo de Claude Monet prise devant sa maison nous a permis d’identifier la variété de géraniums qu’il plantait en été. Celle-ci avait disparu chez les producteurs de graines. Mais nos équipes sont parvenues à retrouver quelques boutures à l’arboretum de Versailles- Chèvreloup et à les multiplier. Cette variété historique a rejoint nos jardins en juin 2020 !» Telle une couturière, la jardinière tricote du «sur mesure» et s’applique à respecter une très saine philosophie de travail : «Nous mettons tout en oeuvre pour conserver certaines variétés. On prend le temps de travailler les plantes. Nous ne sommes pas là pour faire de la rentabilité !» Aussi large que qualitative, la palette que l’équipe de production offre aux jardiniers s’étoffe chaque année. «A l’image d’un Claude Monet qui, tant en peinture qu’en horticulture, s’était montré précurseur et audacieux, nous n’avons pas peur d’innover. Nous sommes aussi et parfois contraints d’introduire de nouvelles variétés parce que les anciennes disparaissent des catalogues des pépiniéristes ». Cette saison, Magali Bedel va tester le begonia viking groovy, la gerbera festival aux allures de marguerites géantes ou encore la rudbeckia occidentale Green Wizard, une fleur surprenante dotée d’un gros coeur conique noir. Un travail minutieux mené dans le respect des règles environnementales :«On évite de traiter. Nous le faisons s’il y a trop de ravageurs agressifs dans une période où l’on ne peut pas lâcher d’auxiliaires. Mais notre objectif est zéro pesticides. Nous utilisons en outre très peu d’engrais».

Active et réactive, l’équipe de Magali Bedel est sur le pied de guerre de janvier à décembre. Le calendrier des semis d’annuelles et de vivaces -cultivées comme des annuelles- court de janvier à avril. «De la fin février à la fin mai, il nous faut ensuite repiquer et rempoter. La production sera ensuite transférée sous les tunnels. Vers la mi mai, après les saints de glace, les jardiniers viendront chercher ces annuelles pour les replanter dans les jardins».  Entre juillet et août vient le temps du semis des bisannuelles et vivaces qui fleuriront l’année suivante. Quelques semaines après le semis, le repiquage est nécessaire. Les giroflées, myosotis, pâquerettes et juliennes des jardins ouvrent le bal. Sonne ensuite le tour des pensées et des violas. «Nous préparons le terrain -situé à ciel ouvert et au dessus des grandes serres- avec un semis de phacélie. Nous passons ensuite le tracteur et, juste avant de planter, une machine à vapeur pour désinfecter. Nous repiquons ensuite les bisannuelles une par une et à la main ! C’est un travail d’orfèvre ! Les jardiniers viennent, à cette étape et plus particulièrement pour les pensées, nous donner un coup de main. Toutes ces bisannuelles sont destinées à être mises en terre à partir du mois de décembre. Entre août et octobre, nous faisons des boutures pour l’année suivante». 

Lorsque sonne l’heure de la fermeture début novembre, l’équipe de Magali Bedel participe à l’arrachage des végétaux. «L’idée est de faire le tri ! Nous ramassons tout ce qui est gélive et que nous souhaitons conserver. Et on rempote tout ça. Tout l’hiver, nous entretenons ce que nous avons récupéré.» A leur disposition, des équipements eux aussi taillés sur mesure. «Les petites serres situées dans les jardins et construites par Claude Monet sont chauffées à hauteur de 20°. Idéal pour démarrer le cycle des semis et boutons ! Puis on transfère la production dans les grandes serres qui sont chauffées à 15 degrés. La dernière étape se trame dans les tunnels». Dans ces abris protégés des ardeurs du soleil, nos jardiniers habituent les plantes élevées en serre à la vie au grand air. Une sorte de sas de décompression avant le grand plongeon ! 

Passionnée et passionnante, Magali Bedel savoure son plaisir d’oeuvrer dans le sanctuaire givernois. «Quelle fierté et quelle chance de construire un jardin que des milliers de personnes pourront admirer. C’est un émerveillement permanent. Claude Monet est vivant à travers son jardin. S’il nous voit de là haut, j’espère qu’il apprécie notre travail»…