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Interviews

Léon Monet, ce frère méconnu…

Depuis le 15 mars et jusqu’au 16 juillet, le Musée parisien du Luxembourg présente une exposition inédite dédiée à Léon Monet (1836-1917), frère du peintre givernois. Entretien passionnant avec Géraldine Lefebvre, docteure en histoire de l’art et commissaire de l’exposition…


Enfants, Claude Monet et Léon entretinrent-ils d’étroites relations fraternelles ?

En 1845, et alors que Claude Monet est âgé de cinq ans et Léon de neuf ans, la famille s’installe au Havre. Les parents, Adolphe et Louise Justine, se lient d’amitié avec la famille de Théophile Beguin-Billecocq, haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. Celui-ci tenait un journal quotidien et en condensa les meilleurs moments dans un Grand Journal. Ces mémoires se révèlent riches d’informations sur l’enfance des deux frères ! Entourés d’une mère qui aimait la musique et le théâtre, ils semblent avoir noué une réelle complicité. Claude suivait son grand frère partout !

Devenus adultes, leurs liens ne se distendent pas…

Léon Monet accueillera son frère à Rouen dès 1864, mais aussi en 1872 et 1892, lorsqu’il s’attèle à la série des Cathédrales. Claude y partage, tous les soirs, des dîners animés avec son frère. De son côté, Léon accompagne régulièrement Claude sur le motif. Il le conviera à plusieurs reprises au Hameau des Petites Dalles, en Normandie, où il a fait construire une maison en 1875.  Léon participe, en outre, à l’éducation de Jean qu’il embauchera, en février 1891, dans son entreprise. Si aucune photo ni correspondance n’en témoigne, Léon fit partie, bien évidemment, des hôtes de Giverny. Il fut, en outre, le témoin de mariage de Claude lorsque celui-ci s’unira à Alice le 16 juillet 1892…

Léon Monet, dans la cour de son usine de Maromme avec son neveu Jean 

Léon fut l’un des premiers soutiens de Claude Monet ! Il mettra tout en oeuvre pour lancer sa carrière et lui trouver ses premiers mécènes…

Léon acquiert, très tôt, des toiles de son frère à une époque où celui-ci peine à trouver des clients. Ses premiers achats sont vraisemblablement conclus vers 1870. Les carnets de compte de Claude Monet l’attestent. Il acquiert notamment une nature morte représentant des perdrix, une toile représentant leur père, Adolphe, lisant dans le jardin de Sainte-Adresse ou encore une vue de Bordighera. Il possèdera, en tout, une vingtaine de toiles de son frère ainsi que ses deux premiers carnets de dessins. Très soigneux, il étiquetait chaque tableau qu’il possédait en y indiquant le lieu et les circonstances de sa réalisation. Jouissant d’une belle réputation et d’un réseau étendu, Léon présentera Claude au mécène François Depeaux. Celui-ci lui achètera, en tout, 23 tableaux ! Convaincu du potentiel et du génie de son frère, Léon ne ménage pas ses efforts…

Claude Monet, Premier carnet de dessins 

Léon Monet fut-il aussi le mécène d’autres impressionnistes ?

Les impressionnistes ont dû se battre pour se faire reconnaître et Léon fut l’un de leurs premiers «soldats ». En 1872, il présente plusieurs peintures de sa collection personnelle à la 23eme Exposition municipale de Rouen, dont des Monet, un Pissarro et un Sisley. Il ne craint pas d’associer son nom à des artistes jusqu’ici décriés ! Il est également présent, le 24 mars 1875, à la première grande vente impressionniste de l’Hôtel Drouot. Léon est le second enchérisseur devant le marchand d’art Paul Durand-Ruel. Il acquiert entre cinq et sept peintures dont trois de son frère et deux Renoir. Il était très fier de la collection qu’il se constitua au fil de sa vie. Il photographiera sa soixantaine de chefs-d’oeuvre et réunira les clichés dans un précieux album relié en cuir…

Léon fut-il, comme son frère, marqué par le japonisme ? 

Tout à fait ! Lui sera davantage séduit par les crépons. Nous en avons  identifié une quinzaine. Il préfèrera, en majorité, des estampes représentant des geishas parées de kimonos aux teintes éclatantes. Les couleurs y sont puissantes… Et c’est forcément ce qui attira l’oeil de Léon !

Yoshiiku Ochiai, L’élevage des vers à soie

La couleur est, justement, ce qui relie les deux frères…

Après des études de chimie, Léon s’est installé à Paris en tant que négociant en couleurs. Il sera recruté, en 1869, par la société Geigy -spécialisée dans les couleurs synthétiques à l’aniline- qui vient d’ouvrir un bureau à Déville-lès-Rouen. Lorsque son employeur ouvre en 1892 une usine à Maromme, dans les environs de Rouen, Léon en est nommé directeur. Il y crée sa cuisine aux couleurs ! En avril 1893, Claude vient d’ailleurs visiter le laboratoire de son frère. Il participe même à un dîner avec ses amis chimistes. Progressivement, les pigments naturels sont supplantés par les pigments synthétiques et les tubes de couleurs. Et cette innovation profitera à la palette des peintres, dont Claude Monet ! A la fin du 19e siècle, 80 % des productions impressionnistes étaient réalisées avec des peintures chimiques.

Ne faudrait-il pas, dès lors, réétudier la palette de Claude Monet à travers le prisme de son frère ? 

C’est tout l’art de Claude Monet qu’il faudrait repenser à travers le prisme de Léon ! Pensons à ses dernières peintures et à sa cataracte qui dégradait ses yeux. Quand la maladie a commencé à le gêner, il a organisé d’une manière précise l’emplacement des couleurs sur la palette. Il savait donc, à chaque fois, quelle couleur, et notamment le rouge vif,  il utilisait ! Il ne faut pas réduire, sur la fin de sa vie, son choix de couleurs à sa seule cataracte… 

Léon Monet a également guidé le parcours artistique de Claude…

Claude Monet avait l’habitude de peindre un endroit lorsqu’il s’y sentait bien. Ainsi, il ne représente pas Dieppe car il y est mal accueilli ! Il peint Rouen car il aime y séjourner et y retrouver son frère. Et la cathédrale se trouve à deux pas du siège de la société Industrielle de Rouen que Léon créa en 1872 !

En 1874, Claude Monet réalise un portrait de son frère. Quelle fut la réaction de Léon lorsqu’il le découvrit ? 

Le portrait entre dans sa collection mais il le rejette et le cache ! Si le caractère fort et trempé de Léon y transparait, le portrait, à l’aspect inachevé, se révèle proche de la caricature. Est-ce pour cela qu’il le refuse ? Selon le peintre Joseph Delattre, Claude Monet avait l’intention de le retoucher en atelier mais Renoir et Sisley l’en aurait dissuadé… Totalement inédit, ce portrait est montré pour la première fois au public ! 

Claude Monet, Portrait de Léon Monet

Les deux frères finirent par se brouiller sur la fin de leur vie. En connaît-on la raison ?

Le 18 mai 1897, deux ans après le décès de son épouse Etiennette, Léon épouse Aurélie Blis, la domestique de la maison. Claude et les siens, qui étaient très attachés à la première Madame Léon Monet, l’acceptent difficilement. Mais les liens persistent. C’est lorsque Jean, malade des poumons, quitte l’entreprise de Léon en 1909 et décède en 1914 que Claude prendra ses distances. Sûrement tient-il Léon pour responsable de la mort de son fils. A l’époque, la chimie des colorants n’est pas, en effet, sans danger pour la santé… Claude n’assistera pas aux funérailles de son frère en août 1917. Quelques jours plus tard, il rédigera pourtant une lettre à la veuve de Léon. Il lui dira combien il regrette de ne pas avoir revu son frère une dernière fois. Et combien il regrette ce qui, un jour, les sépara…

Quid de la descendance de Léon ?

Léon a eu deux filles, dont Louise, qui a une descendance. La petite-fille de Léon, Françoise, a grandi dans le souvenir et l’admiration de son grand-oncle Claude Monet. Avant son décès à l’âge de quatre-vingt-onze ans, le 21 décembre 2017, elle a émis le souhait de voir un jour l’histoire de Léon et Claude révélée. Cette exposition, c’est un cadeau que nous offrent les descendants de Léon…

 

Visuels : copyright : Rmn – Grand Palais