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Interviews

Tsutomu Sugiura

Avec «Japonismes 2018», la Fondation Monet fut au coeur des célébrations du 160e anniversaire des relations franco-nippones. L’occasion d’évoquer, avec Tsutomu Sugiura, président de la Maison de la culture du Japon à Paris (MCJP), les liens étroits qui unissent Claude Monet au pays du Soleil-Levant….


C’est par le biais des estampes japonaises que Claude Monet «rencontra» le Japon. Jusqu’à quel point ces oeuvres graphiques ont-elles, selon vous, influencé son oeuvre ?

Claude Monet collectionna, en effet, beaucoup d’oeuvres d’«ukiyo-e». Lui et les impressionnistes étaient fascinés par ces artistes nippons s’affranchissant de la perspective linéaire qui avait cours dans les toiles occidentales !  A leurs yeux, ces estampes se révélaient aussi originales en matière de couleur, de dessin, de mise en page, de format… J’aime beaucoup le tableau «La Japonaise» (1876), pour lequel le peintre avait pris pour modèle son épouse Camille, vêtue d’un costume japonais. Les thèmes de l’estampe et de la peinture de Monet s’y retrouvent réunis ! Pour l’anecdote, James Tissot fut le premier à prendre pour sujet le japonisme, avec «La Japonaise au bain» (1864). Lui qui figurait parmi les premiers clients d’une boutique spécialisée dans l’artisanat japonais y avait raflé tous les kimonos, s’attirant la jalousie des autres peintres, dont Monet ! A la fin de sa vie, le peintre givernois peindra Les Grandes Décorations de l’Orangerie. Elles  font, pour moi, écho aux paravents japonais, supports privilégiés de la peinture au Japon. J’ai d’ailleurs entendu dire qu’au départ, Monet avait voulu peindre ces nymphéas sur des «fusuma», ces cloisons typiquement japonaises…

L’art nippon inspira incontestablement Claude Monet. L’inverse est-il aussi vrai ?

Bien sûr ! De nombreux peintres japonais comme Seiki Kuroda (1866-1924) ou Sotaro Yasui (1888-1955) furent très impressionnés et inspirés par ses oeuvres et celles des autres impressionnistes ! Ce furent des influences réciproques. Et un amour réciproque !

Encore aujourd’hui, des peintres japonais dont Hiramatsu Reiji se disent guidés par Claude Monet…

L’exposition que lui a consacré le musée des impressionnismes de Giverny en témoigne ! Nous pouvons également citer Nao Kaneko, une artiste très influencée par le style de Claude Monet. Elle habite à Paris et est diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Nao Kaneko a d’ores et déjà exposé au musée Clémenceau, au Havre ainsi qu’au musée Soulages.

Si le peintre givernois avait pu se rendre au Japon, quels lieux aurait-il souhaité, selon vous, fouler ?

La passion qu’éprouvait Monet pour le Japon s’est aussi révélée dans son jardin à travers les plantes que ses amis lui faisaient parvenir. Je pense donc qu’il aurait aimer flâner dans les jardins de Kyoto, si emblématiques du pays ! S’il n’a pas réalisé son rêve, il a accueilli d’illustres japonais chez lui. Et, par l’intermédiaire de Clémenceau, lui aussi grand collectionneur d’objets nippons, il suivait de près toutes les informations relatives au Japon…

Vous parlez d’âmes en résonnance pour qualifier les échanges culturels entre le Japon et la France. Les Japonais sont-ils, aujourd’hui encore, en résonnance avec la peinture de Claude Monet ?

Les Japonais adorent les tableaux de Claude Monet et en sont de fins connaisseurs ! Ils aiment la couleur et la lumière de ses oeuvres. Tout le monde le connaît ! En 2015, l’exposition de la collection Marmottan au Tokyo Metropolitan Art Museum a attiré 763 000 visiteurs, soit 10 300 personnes par jour ! C’est un record ! Une autre exposition dédiée à Monet en 2007 avait attiré 9.230 personnes par jour. A chaque fois qu’une exposition du peintre givernois est organisée au Japon, elle attire beaucoup, beaucoup de monde ! A titre de comparaison, l’exposition Renoir, en 2016, n’a attiré «que» 657 000 visiteurs, soit 6.500 personnes par jour. Monet fédère toujours plus de visiteurs que les autres impressionnistes et grands maîtres occidentaux. Il est exceptionnel !

Dans les écoles nippones, initie-t-on à l’art impressionniste et plus spécifiquement à celui de Claude Monet ?

Tout à fait ! Dans les cours d’histoire de l’art occidental, on enseigne l’histoire de l’impressionnisme et notamment les oeuvres de Renoir, Monet et Manet. Les élèves peuvent s’y initier dès le lycée !

Entre le début de cette saison et la fin septembre, plus de 12.000 visiteurs japonais se sont pressés dans les allées de la Fondation Monet. Vos compatriotes sont-ils également sensibles au Monet jardinier, celui qui aimait tant les pivoines, chrysanthèmes, prunus et autres azalées ?

Bien sûr, car les Japonais sont très sensibles à l’art du jardin depuis l’époque Edo. Les Japonais «ordinaires» disposent tous d’un petit jardin devant leur maison avec des fleurs qui décorent la porte. Monet aimait le jardin japonais. Et aujourd’hui, les Japonais adorent son jardin. A tel point que Giverny se révèle plus connu des Japonais que sa réplique nippone, Kitagawa !

Etes-vous, vous-même, un habitué de la Fondation Monet ?

A chaque fois que mes amis japonais viennent à Paris, ils veulent aller à Giverny ! J’en suis devenu un guide ! J’en ressors toujours très impressionné et inspiré. J’ai moi-même un jardin très fleuri au Japon. J’aimerai y copier les jardins de la Fondation Monet mais c’est malheureusement impossible !

Des évenements relatifs à Claude Monet vont-ils ponctuer, en 2019, l’actualité culturelle nippone ?

Une manifestation inédite pourrait être organisée au Mori Building Digital Art Museum. Le projet ? Une reproduction digitale des Grandes Décorations sur des murs rectangulaires, semblables à des cloisons et de la même taille que ceux de l’Orangerie. A confirmer !