';
Interviews

Philippe Piguet

Bel arrière-petit-fils de Claude Monet, Philippe Piguet lira, le 27 avril prochain dans le salon-atelier de la Fondation, des extraits de correspondances entre Alice Hoschedé-Monet et sa fille Germaine. Echange avec un critique d’art et commissaire d’expositions prolifique…


Resituons tout d’abord votre arbre généalogique. Vous êtes l’arrière-petit-fils d’Alice Hoschédé….

…Le petit-fils de Germaine Hoschedé, et le fils de Simone, dite Sissi !

Votre grand-mère avait 53 ans lorsque Claude Monet est décédé. Elle l’a donc longuement cotoyé. Avez-vous eu le temps de récolter, auprès d’elle, des anecdotes ?

Oui, car, adolescent, j’allais la « garder » le week-end. J’en ai donc profité pour recueillir ses souvenirs. Germaine avait cinq ans, en 1878, lorsque le couple que formaient ses parents –Ernest et Alice Hoschedé– a éclaté, et c’est finalement Claude Monet, son beau-père, qui l’a élévée. Elle m’a peu parlé du Monet peintre, puisque cette activité artistique s’inscrivait, pour elle, dans un quotidien normal. Elle s’est d’avantage confiée sur le beau-père, gardant l’image d’un homme bon et qui aimait beaucoup les enfants. Mais aussi très rigoureux, voire sévère. Il ne fallait pas, en effet, qu’ils le perturbent par leur présence et vivacité !

Et que vous a transmis votre mère, votre deuxième source orale ?

Son regard est plus distant. Ma mère, née à Giverny en 1903, y a vécu quelques années pendant la première guerre mondiale et y passait aussi ses vacances. Et elle s’y est mariée cinq semaines avant la mort de Claude Monet ! Enfant, elle n’avait pas le droit d’inviter ses petits camarades à la maison. Il était, en effet, impensable qu’une bande de gamins joue dans le jardin, au risque d’abîmer les fleurs ! C’est elle qui allait chez ses amis. Et elle devait quitter l’école avant l’heure pour être à table à 11h30, exigence de Monet ! Mais elle aussi, au-delà de cette rigueur, m’a évoqué un homme bon et doux. Je lui ai suggéré, dans les derniers mois de son existence, de coucher ses souvenirs sur le papier. Elle m’a gratté quelques pages manuscrites que j’ai notamment utilisées pour le catalogue de l’exposition du Grand Palais de 2010.

-Et n’oublions pas, aussi, vos souvenirs d’enfance qui, au regard des amateurs d’art, valent de l’or !

A la fin des années 50, c’était Jean-Pierre Hoschedé qui s’occupait de la maison de Giverny. Lorsque j’étais en vacances chez ma grand-mère, nous allions y chercher des oeufs ou y prendre le thé. J’avais dans les 10 ans. Je me rappelle d’un jardin convenablement entretenu. Mais il n’y avait, de mémoire, qu’un seul jardinier… Alors, imaginez le boulot ! Je garde, surtout, le souvenir de parties de pêche dans le bassin. Et, dans l’atelier, nous jouions, à toute vitesse, à l’autobus avec les grands châssis à roulettes des tableaux des nymphéas !

-Vos aïeux vous ont-ils transmis des objets ou du matériel iconographique ?

Le matériel le plus précieux, ce sont les lettres ! J’ai des lettres de Blanche, de sa soeur Marthe, dont une très émouvante, rédigée après la mort d’Alice en 1911. Mais la plus prolixe, c’est la correspondance d’Alice, qui se compte par centaines de lettres, à Germaine, ma grand-mère, sa préférée et petite dernière. C’est cette manne épistolaire qui fait la source de mes lectures.

-Que réservez-vous, cette année, à vos auditeurs de la Fondation Monet ?

J’associerai des lettres nouvelles (environ 70% de la lecture), à d’autres déjà lues, car elles sont indispensables pour respecter la chronologie. Ces lectures seront organisées en séquences relatives au quotidien du peintre, et illustrées par des photos. Je dispose aussi de lettres de Claude Monet dans lesquelles je cherche un peu de matière pour raconter son quotidien.

-Avez-vous envisagé de compiler ces lettres dans un ouvrage ?

Mon projet est en effet de publier toutes mes archives, épistolaires et photographiques. Les lettres ont été moins lues que les photos n’ont été vues. Elles circulent beaucoup, comme cette « photo selfie » (Monet photographiant son reflet dans le bassin aux nymphéas) qui m’est demandée trois ou quatre fois par an. La seule photo dont on soit sûr qu’elle a été prise par Monet !

Etes-vous le seul, dans votre famille, à effectuer ce travail de mémoire ?

J’ai un frère aîné qui fait des conférences sur Monet, et dont l’épouse mène un considérable travail sur la figure d’Alice Hoschedé. C’est d’ailleurs lui qui possède l’un des journaux d’Alice. Il y en a plusieurs, répartis entre différentes personnes de la famille. Mais je suis celui qui détient le plus de lettres d’Alice.

-Vous vous intéressez aussi, de près, à l’histoire de votre arrière-grand-père, Ernest Hoschedé …

Les historiens ne l’ont jamais mis en avant comme il mériterait de l’être. C’était un personnage fabuleux. Le premier au monde à avoir acheté « Impression soleil levant » de Monet, « L’inondation à Port-Marly » de Sisley » et « La femme au perroquet » de Manet. Il y aussi quinze Corot, quinze Courbet… Il mérite l’histoire ! Le problème, c’est qu’après sa mort, beaucoup d’archives ont disparu. Avec le temps, des lettres réapparaissent dans le circuit marchand. J’ai racheté, il y a peu, trois lettres d’Ernest Hoschedé adressées à Alice au moment de leur séparation. J’ai également rédigé un ouvrage sur Ernest, que je ne publierai qu’après un travail d’exposition. Il y a tant à faire ! Et je m’intéresse aussi à Blanche Hoschedé : à l’occasion des 70 ans de sa mort, je vais monter, cet été, une exposition de ses oeuvres au musée de Vernon (8 juillet-29 octobre).

Justement, votre grand-mère ou votre mère vous ont-elles parlé de Blanche ?

Je ne l’ai pas connue même si elle, m’a connu ! C’est d’ailleurs grâce à Blanche que je suis devenu collectionneur à ma naissance. Chaque nouveau-né Piguet avait droit à l’un de ses tableaux. Elle m’a ainsi légué une vue du jardin de Monet que j’ai transmise récemment à ma filleule. Blanche, c’est la figure de la dévotion. Mais un problème surgit depuis peu ! Devenue veuve en 1914 après la mort de Jean, Blanche avait choisi de s’installer auprès de son beau-père et d’y remplir la fonction de maîtresse de maison. Il a toujours été dit, dans ma famille, qu’elle avait, à cette date, arrêté de peindre. Comme une sorte de sacrifice. Or, un tableau, daté de 1921, vient d’être découvert ! Notons néanmoins que ce n’est pas parce qu’il est daté de 1921 qu’il est de 1921 ! C’est compliqué. Mais je vais finir par devoir émettre un doute !

-Votre parcours professionnel et artistique aurait-il été le même si vous n’aviez pas été le bel arrière-petit-fils de Monet ?

Et si je n’avais pas été l’arrière-petit-fils d’Ernest ! Je suis autant l’un que l’autre et, par le sang, d’avantage l’un que l’autre. Je suis le seul de la famille à être collectionneur d’art contemporain. Je suis le seul à être critique d’art. Comme l’a été Ernest Hoschedé. J’ai pris conscience un jour que j’étais le clone de mon arrière-grand-père ! Et, lorsque je l’ai réalisé, je me suis dit que j’avais fait l’économie d’une psychanalyse ! Cela m’a, d’ailleurs, d’autant plus boosté à ne plus faire que ça.

-De par vos activités de critique d’art et commissaire d’exposition, vous avez pu mesurer la popularité de Monet à travers le monde. Qu’est-ce qui fait, selon vous, sa dimension universelle ?

Monet est l’artiste le plus important de sa période, et, en terme de fortune critique, bien plus important que Cézanne. Ce fut un pionnier. Il est incroyablement présent dans l’histoire de l’art, au-delà de son époque ! Un jour, j’ai rencontré le plasticien Pierre Huygue, figure de la scène artistique française et qui travaille, notamment, sur les écosystèmes et le vivant. Je lui ai demandé quel artiste avait été, pour lui, déterminant. Alors qu’il ne connaissait pas mon arbre généalogique, il m’a répondu Monet ! Monet, c’est l’universel. Cela va bien au-delà d’une trace de pinceau !