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Interviews

Gilbert Vahé : «Ce livre est un travail de mémoire»

Saviez-vous qu’un événement littéraire, (très) attendu par les inconditionnels du peintre-jardinier, va marquer cette quarante-deuxième saison ? Intitulé «Le jardin de Monet à Giverny – Histoire d’une renaissance» (Editions Gourcuff/Gradenigo), l’ouvrage de Gilbert Vahé, chef jardinier historique de la restauration du domaine, garnit les étals des libraires depuis le 5 mars ! Une «bible» dédiée au chantier d’envergure entrepris en 1976 et qui permit l’ouverture au public du sanctuaire de Claude Monet le 3 juin 1980…


Souvenons-nous…

Disparu le 3 février 1966, Michel Monet, fils du peintre, lègue la propriété de Giverny et les collections qu’elle recèle à l’Académie des Beaux Arts. Conservateur du musée Marmottan, Jacques Carlu pallie au plus pressé et ordonne l’exécution des premiers travaux d’urgence, dont la réfection de la toiture. Mais les fonds manquent. Irrémédiablement, la vétusté grignote les bâtiments tandis que les jardins s’étiolent dans une vaine désolation. Tout bascule en 1974, lorsque l’Académie des Beaux Arts confie à Gérald Van der Kemp le sauvetage de Giverny. Grâce aux capitaux collectés auprès de mécènes américains, mais aussi aux budgets alloués par l’Académie des Beaux-Arts et le Conseil général de l’Eure, des travaux titanesques sont entrepris dès 1976. Et c’est Gilbert Vahé, un jeune jardinier diplômé de l’Ecole d’Horticulture de Versailles,  qui accompagnera «VDK» dans cette folle et quasi archéologique restauration…


Eté 1977, devant la maison du maître impressionniste

Quelle est la vocation de cet ouvrage ?

Il me fallait laisser une trace de ce grand chantier et des recherches historiques entreprises. C’est un travail de mémoire qui rend hommage à Gérald Van der Kemp et à Claude Monet. Avec ce livre, je passe aussi le témoin à mes successeurs ! Car il y aura  d’autres cycles, d’autres mémoires à perpétuer…

Dans quel état était la propriété givernoise lorsque vous l’avez foulée pour la première fois ?

En septembre 1976, date de ma prise de poste, l’entreprise Frange avait déjà fait un gros travail de structure. Ils avaient défriché le Clos Normand, tracé toutes les allées et commencé à planter. Reste qu’à cause de la grande sécheresse, tout avait grillé. Il a fallu tout recommencer ! Côté jardin d’eau, les travaux n’avaient pas encore démarré. Les berges étaient effondrées. Rien n’était planté. C’était une friche !


Le pont avant la restauration

Sur quels documents vous êtes-vous appuyés pour restituer les jardins à l’identique ?

Gérald Van der Kemp avait choisi de restituer le jardin tel qu’il était à la fin de la vie de Claude Monet. Le témoignage de Jean-Marie Toulgouat, l’arrière-petit beau-fils du peintre, fut décisif puisqu’il nous a livrés les plans du jardin et le nom des plantes cultivées par le maître des lieux. Ceux de Robert Le Gal, jardinier chez Claude Monet de 1913 à 1916 ou d’André Devillers -chef de culture de Georges Truffaut et qui fréquenta Monet et son jardin- furent également primordiaux. Tout comme certains ouvrages -Marc Elder..- ou articles de l’époque. Et, bien évidemment, les peintures de Claude Monet ! Le film de Sacha Guitry (Ceux de chez nous, 1915) et les photos d’Etienne Clementel nous furent également très précieuses pour le jardin d’eau. Chaque témoignage eut son importance et ce fut parfois un détail qui fit toute la différence !

Quid des zones pour lesquelles vous ne disposiez pas de matériel historique ?

Nous avons usé de notre instinct ! Au-delà des témoignages et autres photos historiques, il fallait comprendre. Prenons l’exemple de l’allée centrale telle que Monet l’avait conçue. Je ne comprenais pas cette différence de style entre les plantations de printemps qui ressemblaient à des taches de couleurs et celles d’été et d’automne qui prenaient l’allure de lignes monochromes. En parcourant les archives et correspondances, j’ai constaté que Monet avait visité Bordighera peu après s’être installé à Giverny. Je me suis rendu sur place et j’ai compris ! Là bas, face à cette foisonnante végétation, il y a eu un «tilt», un changement que le peintre a ramené à Giverny…

Quel tandem formiez-vous avec Gérald Van der Kemp ?

Nous étions complémentaires. Nous n’étions pas toujours d’accord mais il savait se remettre en question. Gérald Van der Kemp était un être désintéressé, passionné et qui recherchait la perfection. Et il fut un véritable visionnaire en n’hésitant pas à mêler art et marketing ! Il était aussi un fantastique caméléon, à l’aise dans un milieu de royauté tout autant qu’avec des ouvriers sur le terrain. Il changeait de langage, de personnalité. Une seule génération séparait Claude Monet et Gérald Van der Kemp. Ils étaient finalement très semblables et étaient animés par les mêmes passions !


Gérard Van der Kemp