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Giverny

En rose et bleu !

Depuis les premières heures d’avril, les tulipes roses et myosotis bleus habillent les massifs bordant la maison de Claude Monet. Retour sur un tableau mythique…


Immortalisé par les visiteurs du monde entier, ce camaïeu aussi doux que spectaculaire a tissé la renommée des jardins de Claude Monet. Reste que ressusciter ce parterre digne d’un tableau impressionniste constitua, lors de la restauration, un défi de taille. «Nous avions initialement planté, à cet endroit, des pâquerettes rouges ainsi que des tulipes. Nous pensions être dans le vrai. Et, lors de l’inauguration en juin 1980, c’est Monsieur de Vilmorin qui nous a dit que nous nous étions trompés. Lui qui avait cotoyé Claude Monet à Giverny nous a soufflés qu’il fallait ici mélanger tulipes et myosotis !»

Harmonieux et coloré, ce parterre ressemble tant au maître des lieux. Le génie givernois vouait, en effet, un véritable culte aux tulipes ! C’est au début du mois de mai 1886 que Claude Monet découvre, en Hollande -entre Leyde et Haarlem-, la féérie des champs de tulipes distribués en bandes flamboyantes. Son oeil avide de nouvelles perspectives croque, jusqu’à plus soif, ces surprenants tapis de couleurs aux nuances infinies et fuyant jusqu’à l’horizon. Des tulipes à qui il réservera, à son retour, une place de choix dans son repaire impressionniste…

Element clé du parterre, la couleur rose a, quant à elle, profondément marqué l’oeuvre picturale de Claude Monet. De «Soleil d’hiver, Lavacourt» (1879-1880) baigné d’une calme lumière rosée jusqu’au «Bassin aux nymphéas, Harmonie rose» (1900), en passant par «Les Peupliers, trois arbres roses, automne» (1891), cette couleur occupe une place particulière dans sa palette. L’un de ses derniers tableaux ne s’intitule-t-il pas «La maison entre les roses» (1925) ? C’est lorsqu’il découvre, peu après son installation à Giverny, les jardins Moreno de Bordighera qu’il saisit pleinement la puissance picturale de cette couleur. «Il règne ici un rose extraordinaire, intraduisible», écrit le peintre en 1884..

Aux tulipes s’associent des myosotis déclinant une palette d’audacieux bleus. Car Claude Monet aimait aussi le bleu : «Le peintre s’était pris de passion, au printemps, pour le bleu après avoir vu les violas innombrables qui parsemaient autrefois les jardins et la campagne de Bordighera», explique notre chef jardinier adjoint Rémi Lecoutre. Dans son ouvrage intitulé «Aurélien» (1944), Aragon, qui fréquenta Claude Monet à Giverny, témoigne également de cette passion : «Elle vit les fleurs bleues. À leur pied, la terre fraîchement remuée. Des fleurs bleues partout. La petite allée vers la maison. Le gazon clair et d’autres fleurs bleues. […]». Un engouement qui semble atteindre son apogée en 1900 lorsqu’en partance pour Londres, Claude Monet laisse ces consignes à Félix Breuil, son jardinier en chef : le printemps du Clos normand sera bleu, cobalt, roi, azur, céruléen, avec toutes les nuances d’iris, de pensées, de sauges, de myosotis, de jacinthes, et plus encore !

C’est, aujourd’hui, grâce aux mains expertes de nos jardiniers emmenés par Jean-Marie Avisard que ce parterre se retisse chaque année : «Côté tulipes, nous mélangeons à l’automne trois catégories, les «hâtives», les «semi-hâtives» et les «tardives», peut-on lire dans l’ouvrage de Gilbert Vahé, Le jardin de Monet à Giverny-Histoire d’une renaissance (Gourcuff/Gradenigo). De cette façon, les fleurs se succèdent pendant près d’un mois. Au Clos normand, le rose triomphe : deux mille bulbes mélangés, c’est le hasard qui décide de la disposition des nuances ! Les tulipes Triomphe à tige moyenne «Peerless Pink» et «Anne-Clair»(250 de chaque) voisinent avec les trois cents hybrides Darwin aux tiges longues «Elizabeth Arden». Quelque trois cents «Pink Diamond» se mêlent à quatre cents Darwin «Queen of Bartigons», avant de laisser la place à trois cents «Rosy Wings», simples tardives qui ferment le bal. À leurs pieds le tapis bleu vif de minuscules myosotis des Alpes, repiqués en novembre, et les touffes compactes des œillets Flon roses.»

Ou comment voir la vie en rose…et bleu !